Les joies du bivouac hivernal
4h du mat', réveillé par un petit flocon qui te tombe sur la rare partie du front qui n'est pas recouverte par ton duvet. Non, il ne neige pas à l'intérieur de la tente, c'est simplement la condensation de la tente qui a gelé, et qui retombe de la toile, bercée par de bonnes rafales de vents à l'extérieur.
Envie de pisser, le drame. "Ça va passer." Tu as plus de 15 ans d'expéditions dans les pattes, tu sais bien que ça ne passe jamais. D'ailleurs hier c'est pas passé non plus. Mais "ça va passer", tu y crois. 15min, 30min, 1h, évidemment ça ne passe pas. Comme les rafales de vent d'ailleurs.
5h30 du mat, "c'est pas passé". Quand il faut... Tu ouvres ton duvet -35°, et tu sens le froid qui touche chaque centimètre carré de ton visage. Tu sors ensuite de ton sac à viande, dans tes sous-vêtements thermiques secs, qu'évidemment tu vas faire frotter contre la toile de tente recouverte de givre. Tu jures. Tu as froid.
"Merde, elle est où la frontale." Tu jures. Tu as froid. Tu te souviens que tu l'avais mise dans ton duvet avec tout ce qui avait une batterie. Tu cherches dedans, et tu fais tomber une partie de ton duvet sur le sol, lui aussi mi givre, mi humidité. Tu jures. Mais tu as ta frontale.
Tu mets ta doudoune puis tu essayes de mettre tes chaussures, mais les lacets sont solidifiés, toujours encore par l'humidité qui a gelé. Tu souffles dessus, tu jures, et c'est bon tu mets tes chaussures.
Tu sors enfin dehors. Tout est glacé. Tu as froid et tu sens le vent dans chacun de tes poils sous ton collant thermique. Tu hésites à mettre tes raquettes, puis "oh et merde" et tu avances. Tu résistes à l'envie de ne faire que 5m, mais bon, l'once de dignité qu'il te reste te mène à au moins 20m du campement.
Tu t'arrêtes et tu t'exécutes. Tu as froid, mais cette libération te semble être le meilleur moment de ta vie. Malheureusement il est bref. Heureusement en vrai, car il fait un -10 humide à l'abri du vent, et toi, tu n'es pas à l'abri du vent.
Tu retournes dans ta tente, congelé. Tu enlèves tes chaussures toutes humides, puis tu marches sur une petite flaque d'eau que tu as généré 3min plus tôt en t'agitant dans la tente, mouillant tes chaussettes puis tu secoues toute la tente faisant pleuvoir du givre en essayant de rentrer maladroitement dans ton sac à viande puis ton duvet. Tu espères ne pas avoir réveillé ton partenaire de tente, sans grand espoir non plus.
6h, ça y est, enfin, tu es réinstallé, mais tu es tout humide et mouillé dans le duvet et tu as froid. "Ça va passer, faut juste attendre que la chaleur de mon corps fasse passer ça".
6h30, c'est toujours pas passé. Tu jures. 7h, c'est passé, tu es sec et réchauffé, reste plus qu'à s'endormir. Et ça arrive enfin.
7h30, debout, faut démonter le camp. Tu jures...
C'est décidé : Mars 2024, raid en autonomie au Groenland, je suis chaud ! :-)