La pluralité des mondes habitables
Notre monde est-il unique ou en existe-t-il d'autres similaires ? La question de la pluralité des mondes habitables est au cœur de nombreux débats depuis des millénaires. Son histoire a été marquée par des oppositions constantes entre conceptions philosophiques, religieuses et observations astronomiques. Si au XXe siècle la question semblait finalement résolue, la découverte de 51 Pegasi b en 1995 — qui valut à ses découvreurs le prix Nobel en 2019 — relança le débat. La Terre est-elle unique ?
Les prémices grecques
Depuis Thalès de Milet (624 av. J.-C. - 547 av. J.-C.), la représentation du monde commença à devenir scientifique : on chercha désormais à expliquer les phénomènes naturels à partir d'observations empiriques et rationnelles, plutôt qu'en invoquant des divinités ou des traditions mythologiques. Ce fut sur la base de ces observations que Thalès proposa un modèle cosmologique simple : une Terre plate, immobile et située au centre de l'univers. Son élève Anaximandre de Milet (610 av. J.-C. - 546 av. J.-C.) ajouta l'idée de sphères célestes support des astres tournant autour de la Terre.
Pythagore de Samos (570 av. J.-C. - 495 av. J.-C.) et ses disciples remirent en question cette conception à partir de leurs propres observations. Ils notèrent, par exemple, que la position des étoiles dans le ciel changeait en fonction de la latitude de l'observateur et que, lors des éclipses lunaires, l'ombre de la Terre projetée sur la Lune était toujours circulaire. Ces éléments les amenèrent à abandonner le modèle de la Terre plate pour adopter celui d'une Terre sphérique. Ces conclusions, basées sur des observations facilement reproductibles, devinrent si évidentes que, pendant des siècles, à part quelques marginaux, aucun penseur sérieux ne remit en cause le modèle de la Terre ronde… Jusqu'au XXe siècle où environ 10 % des Français pensent que la Terre pourrait être plate (source) – mais ce n'est pas notre sujet.
À partir du VIe siècle avant notre ère, la Terre fut donc généralement reconnue comme sphérique. Elle restait cependant immobile et occupa le centre d'un cosmos structuré selon des sphères. Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) développa ce modèle en décrivant une sphère des étoiles fixes (pour les astres immobiles) et des sphères concentriques sur lesquelles évoluaient les planètes. Ce système géocentrique, amélioré jusqu’à Ptolémée (environ 100 - 170) domina la pensée cosmologique pendant près de deux millénaires.
Bien que ces modèles reposaient sur des observations, leurs interprétations furent profondément influencées par des conceptions philosophiques et anthropocentriques. Selon la pensée grecque, l'homme, en tant qu'être rationnel, occupait une position centrale et privilégiée dans un univers conçu comme ordonné et harmonieux. Cette vision s'appuyait sur la figure géométrique parfaite du cercle, où la Terre – et donc l'humanité – occupait le centre. Dans cette logique, si la Terre était au centre, elle ne pouvait qu'être unique, ce qui expliqua la résistance farouche à l'idée d'une pluralité des mondes.
Démocrite (460 av. J.-C. - 370 av. J.-C.) et son mentor Leucippe furent à l'origine de la théorie atomiste selon laquelle tout était constitué d'atomes indivisibles se mouvant dans le vide, et gouvernés par des lois universelles et valables partout dans l'univers. À l'opposé de la vision géocentrique dominante, qui plaçait la Terre au centre de l'univers et lui attribuait un caractère unique, Démocrite avança que notre planète n'avait rien d'exceptionnel.
Selon Démocrite, l'univers était infini et constitué d'une infinité d'atomes évoluant dans le vide. Il en déduisit l'existence nécessaire d'une multitude de mondes, certains similaires au nôtre, d'autres radicalement différents. Ces mondes émergeaient, évoluaient et disparaissaient par le seul jeu des processus naturels, sans intervention divine, résultant des combinaisons aléatoires d'atomes.
Pour Démocrite, il fut donc logique de considérer la Terre comme un monde parmi d'autres dans l'infinité de l'univers. Il fut ainsi le premier à proposer l'idée de la pluralité des mondes, concept repris plus tard par Épicure (341 av. J.-C. - 270 av. J.-C.). Cependant, à l'instar de sa théorie atomiste, ces idées ne reposaient sur aucune observation ni preuve expérimentale, ce qui expliqua leur rejet quasi unanime par les autres philosophes grecs.
Ces idées se heurtèrent à plusieurs oppositions majeures : la pensée religieuse et les récits mythologiques, incompatibles avec l'idée d'une infinité de mondes ; Platon (427 av. J.-C. - 348 av. J.-C.), qui rejeta le matérialisme au profit d'un démiurge tout-puissant créateur d'un univers unifié non soumis au hasard ; et Aristote, pour qui n'existait qu'un seul univers fini et ordonné, centré sur la Terre. Les théories de Démocrite furent ainsi écartées au profit de celles d'Aristote, qui dominèrent la pensée occidentale pendant deux millénaires. Elles ne tombèrent pourtant pas dans l'oubli : reprises par Épicure puis Lucrèce (99 av. J.-C. - 55 av. J.-C.), elles survécurent jusqu'à la Renaissance où elles influencèrent Giordano Bruno.
La renaissance italienne
Nicolas Copernic (1473-1543) publia, l'année de sa mort, son ouvrage De revolutionibus orbium coelestium (Des révolutions des sphères célestes). Cette œuvre révolutionna l'astronomie en plaçant le Soleil, et non plus la Terre, au centre du système solaire, notre planète effectuant une double rotation : autour du Soleil et sur elle-même. Johannes Kepler (1571-1630) publia en 1609 son Astronomia Nova (Nouvelle Astronomie) et, par sa première loi, porta le coup de grâce à l'édifice géocentrique d'Aristote : « Les planètes décrivent des orbites elliptiques autour du Soleil, avec celui-ci situé à l'un des foyers de l'ellipse. »
La Terre perdit ainsi sa position centrale dans l'univers, et le cercle cessa d'être considéré comme la figure parfaite représentant le mouvement des astres. Cette révolution ouvrit la voie aux questionnements sur la pluralité des mondes et remit en cause l'unicité de la Terre. Initialement, ces travaux ne rencontrèrent pas d'opposition de l'Église, car ils furent présentés comme de simples hypothèses et curiosités mathématiques. Ce n'est qu'après leur diffusion plus large, leur convergence avec les découvertes de Galilée et l’intérêt croissant des savants que l'Inquisition, en 1616, déclara l'héliocentrisme contraire aux Écritures et plaça l'ouvrage de Copernic sur l'Index des livres interdits.
Giordano Bruno (1548-1600), philosophe, théologien et cosmologue italien, poursuivit les travaux de Copernic et tenta de démontrer, de manière philosophique, l'existence d'un univers infini, dépourvu de centre comme de circonférence, peuplé d'une « quantité innombrable d'astres et de mondes identiques au nôtre » qu'il décrivit dans son ouvrage L'Infini, l'Univers et les mondes.
S'inspirant des écrits de Démocrite et d'Épicure, Bruno considérait les étoiles non comme de simples points fixes, mais comme des soleils entourés de planètes possiblement habitées par des êtres intelligents. Selon lui, l'humanité ne détenait aucune position privilégiée, et l'infinité de l'univers manifestait la grandeur divine, dépassant toute compréhension humaine.
Il s'opposa vigoureusement aux idées dominantes de son époque. À travers plusieurs ouvrages, il s'attacha à réfuter les doctrines aristotéliciennes, contestant notamment les théories sur la forme de l'univers et l'immobilité de la Terre.
Ses critiques acérées d'Aristote s'accompagnèrent d'une remise en question croissante des religions catholique, anglicane et luthérienne, particulièrement leur insistance sur l'unicité de la création et l'anthropocentrisme. Bruno défendait avec conviction l'existence d'une multitude de mondes habités dans un univers où l'humanité ne constituait plus le centre de la création divine.
Successivement expulsé d'Italie, de France, d'Angleterre et d'Allemagne, il fut arrêté en 1598, puis condamné pour hérésie. L'Inquisition le fit brûler vif à Rome en 1600.
Galilée (1564-1642) fut le premier à utiliser une lunette astronomique. Ses observations de 1610 confirmèrent la théorie héliocentrique de Copernic et allèrent dans le sens de la pluralité des mondes de Giordano Bruno :
L'observation des phases de Vénus, similaires à celles de la Lune, était une prédiction du modèle de Copernic qui ne pouvait s'expliquer qu'en plaçant Vénus en orbite autour du Soleil.
L'observation des reliefs lunaires remit en cause l'idée aristotélicienne selon laquelle les corps célestes sont parfaits et immuables. La Lune est aussi un monde en soi, partageant des caractéristiques avec la Terre, ce qui laisse entrevoir la possibilité que d'autres mondes puissent également exister.
Enfin, l'observation des quatre satellites en orbite autour de Jupiter — Io, Callisto, Europe et Ganymède — prouvait que tout dans l'Univers ne tournait pas autour de la Terre. Ils constituaient un système à part entière. S'il n'y avait pas un centre unique mais au moins deux, s'il n'y avait pas de système unique mais au moins deux, pourquoi alors n'y en aurait-il pas d’autres ?
Galilée ne franchit jamais le pas d'affirmer ouvertement qu'il pourrait exister d'autres mondes habités, ses propos sur l'héliocentrisme ayant déjà attiré les foudres de l'Église catholique.
Quand il publia en 1632 son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde dans lequel il affichait un soutien public à l'héliocentrisme suite à ses observations, il fut accusé d'hérésie, dut abjurer publiquement et fut condamné à la prison avant de finir sa vie en résidence surveillée.
Ce n'est qu'en 1758 que l'Église retira l'ouvrage de Copernic de l'Index des livres interdits. En 1822, elle permit officiellement l'impression d'ouvrages traitant de l'héliocentrisme. En 1835, ce fut au tour des ouvrages de Galilée d'être retirés de l'Index des ouvrages interdits. Il fallut néanmoins attendre 1992 pour que le pape Jean-Paul II reconnut officiellement l’erreur de l’Eglise sur la condamnation de Galilée et que l'héliocentrisme n'était pas incompatible avec la foi chrétienne. À ce jour, Giordano Bruno n'a jamais été réhabilité. À l'inverse, le responsable de son procès, Roberto Bellarmino, figure clef de l'Inquisition, fut canonisé en 1930.
Malgré cela, l'Église ne réussit jamais à contrer la diffusion du modèle héliocentrique qui devint progressivement la norme en Europe. La pluralité des mondes était devenue petit à petit une évidence ; il ne restait plus grand monde pour refuser d'imaginer que ces millions puis milliards d'étoiles sont elles aussi le centre d'un système planétaire, dont nombre d'entre elles pourraient être semblables à la Terre.
Les temps modernes
Si la Terre avait perdu depuis des siècles son statut particulier dans l'infini, le XXe siècle alla encore plus loin. Harlow Shapley (1885-1972), travaillant à l'Observatoire du Mont Wilson, mena des recherches sur les amas globulaires et leur distribution dans la Voie lactée. Il découvrit leur concentration dans une région du ciel, dans la constellation du Sagittaire, et en déduisit que le centre de notre galaxie se trouvait dans cette direction, à 25 000 années-lumière. Cette découverte eut un impact majeur : le Soleil perdait à son tour son statut d'astre particulier. Il n'était finalement qu'une étoile ordinaire en périphérie de la galaxie, en rotation autour de son centre.
On pensait alors qu'il n'existait qu'une seule galaxie, la nôtre, et qu'elle était entourée de vide, tous les objets visibles dans le ciel faisant partie de la Voie lactée. C'était la position défendue par Shapley lors du grand débat sur la nature des nébuleuses en 1920: pour lui, les nébuleuses visibles dans le ciel, ces taches laiteuses, n'étaient que des structures appartenant à notre galaxie, situées à quelques dizaines de milliers d'années-lumière de la Terre.
Edwin Hubble (1889-1953), travaillant lui aussi à l'Observatoire du Mont Wilson, mesura la distance de ce que l'on appelait alors « nébuleuse d'Andromède » à plus d'un million d'années-lumière. Le résultat était sans appel : cette nébuleuse ne pouvait faire partie de notre galaxie — c'était bel et bien une autre galaxie, semblable à la Voie lactée. Il mesura également la distance d'autres galaxies, comme celle du Triangle ou celle de Barnard. Même si ces mesures ont été corrigées par la suite, elles ont démontré qu'en définitive, notre galaxie était elle aussi quelconque, perdue au milieu d'un océan de galaxies.
L'histoire ne s'arrêta pas là. George O. Abell (1927-1983) mis en évidence les propriétés et la structure de l’amas de la Vierge, un amas de galaxies situé à environ 54 millions d'années-lumière de la Terre et contenant entre 1300 et 2000 galaxies. Ce fut ensuite la découverte du Super Amas de la Vierge, puis de Laniakea en 2014. La Terre, notre Soleil, notre galaxie, notre amas, notre superamas, notre superstructure — tous sont, à leur niveau, banals et sans aucune position privilégiée.
Il y a 200 à 400 milliards d'étoiles dans notre galaxie, et entre 200 et 2000 milliards de galaxies dans l'univers observable. Si notre Terre, notre Soleil et notre galaxie n'ont rien de particulier, pourquoi n'existerait-il pas un grand nombre de mondes habitables, voir même habité parmi les étoiles ?
Les petits hommes verts
Au XXe siècle, les croyances populaires en des mondes habités étaient légion, et même partagées par les scientifiques les plus optimistes.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l'astronome italien Giovanni Schiaparelli (1835 - 1910) observa des structures sur Mars qu'il appela des « canaux ». Percival Lowell (1855 - 1916) , un astronome américain, popularisa ensuite l'idée que ces « canaux » étaient des ouvrages d'ingénierie martienne destinés à acheminer l'eau depuis les pôles vers les zones équatoriales. Ces observations ont alimenté les spéculations sur une civilisation intelligente sur Mars et ont nourri toute la littérature de science-fiction sur les Martiens.
Vénus, située dans la zone habitable du Soleil et présentant des caractéristiques semblables à la Terre, était considérée comme habitable. On imaginait alors que sous ses nuages se trouvaient de vastes océans et une jungle luxuriante. Certains, comme Carl Sagan (1934 - 1996), envisageaient même des formes de vie sur Jupiter ou Saturne — des créatures flottantes adaptées aux environnements gazeux.
Mais les sondes spatiales lancées à partir de la deuxième moitié du XXe siècle vinrent balayer toutes ces idées. Lorsque la sonde américaine Mariner 2 survola Vénus en 1962, elle put en mesurer la température (environ 425 °C à 500 °C), sa très forte teneur en gaz carbonique dans l'atmosphère et son absence de champ magnétique. En 1970, la sonde russe Vénéra 7 fut le premier engin spatial à se poser sur une autre planète du système solaire, à la surface de Vénus, et confirma que la pression qui y régnait était de 90 atmosphères terrestres. En 1975, Vénéra 9 fit la première photographie de la surface de Vénus : c'était une planète extrême, inhospitalière et incapable d'accueillir la vie.
Les premières images de Mars ont été prises en 1965 par la sonde Mariner 4. Ces images ont montré un monde sec et apparemment stérile, recouvert de cratères, contredisant les idées d'une Mars recouverte de canaux ou de végétation. Les mesures envoyées par Mariner 4 ont permis de confirmer la non viabilité de Mars : une atmosphère et un champ magnétique quasi inexistants. La sonde Viking I en 1976 n'a pas été la première à s'y poser (les Russes avec Mars 3 les avaient devancés), mais elle fut la première à réussir à prendre des images de la surface. Ces images ont enterré l'imaginaire collectif autour d'une Mars habitée fantasmée.
Il n'existait pas de mondes habitables dans notre système solaire, du moins pas pour une espèce évoluée telle que la nôtre. Désormais, les recherches se concentrèrent sur des formes de vie primitives qui pourraient exister sous les océans des lunes de Jupiter, ou qui auraient pu exister sur Mars ou Vénus dans des temps bien lointains avant de disparaître avec l'évolution de ces planètes. Mais on se rassurait alors : il existait des milliards de systèmes solaires comme le nôtre — il devait bien exister de nombreuses terres identiques à la nôtre.
La création du système solaire
Emmanuel Kant (1724 - 1804) présenta le premier modèle de création du système solaire, modèle qui fut ensuite repris par Simon de Laplace (1749 - 1824). Pour la première fois dans l’histoire, on expliquait l’origine de nos astres sans explications surnaturelle. Pour l’anecdote, lorsqu’il le présenta à Napoléon, ce dernier s’étonna :
"Et Dieu dans tout cela ?"
Laplace aurait alors répondu :
"Sire, je n'ai pas eu besoin de cette hypothèse."
Ce modèle, celui de la nébuleuse primitive, suggérait que le Soleil et les planètes se seraient formés à partir d'une immense nébuleuse de gaz en rotation, beaucoup plus massive que le Soleil et s'étendant au-delà de l'orbite de Neptune. Cette nébuleuse primitive, très chaude, se serait contractée progressivement sous l'effet de sa propre gravité, entraînant l'augmentation de sa vitesse de rotation. En se rétrécissant, les forces centrifuges auraient conduit à la formation de couches annulaires de matières qui se seraient détachées, puis auraient formé chacune des planètes et leurs lunes par agglomération, tandis que le Soleil se serait formé à partir du noyau central de la nébuleuse.
Ce modèle, bien que novateur, présentait des lacunes. Il a été corrigé et affiné au fil des découvertes astronomiques par les scientifiques pour aboutir au XXe siècle au modèle de la nébuleuse solaire. Cette nébuleuse serait composée de gaz et de poussière provenant de l'effondrement d'étoiles plus anciennes. D'abord stable, elle s'effondrerait sous l'effet d'un événement externe, tel qu'une onde de choc issue d'une supernova proche. Cet effondrement gravitationnel accélérerait sa rotation et aplatirait la nébuleuse en un disque protoplanétaire. Au centre, la concentration de matière formerait une protoétoile : notre Soleil.
Sous l'effet des forces gravitationnelles, la température et la pression répartiraient les matériaux dans le disque selon leur densité. Dans la zone centrale très chaude, les éléments lourds (métaux et roches) resteraient solides, tandis que les éléments volatils (eau, ammoniac, méthane) se vaporiseraient. À l'inverse, dans les régions externes plus froides, ces composés volatils se condenseraient en glaces. Ces éléments s'aggloméreraient ensuite pour former des protoplanètes : des planètes telluriques près du Soleil, composées de métaux et de roches, puis plus loin, des géantes gazeuses et des géantes de glaces. Lorsque le Soleil atteindrait la température nécessaire à la fusion nucléaire, la fusion de l'hydrogène générerait un vent solaire puissant qui balayerait les gaz restants, arrêtant ainsi la croissance des planètes.
Ce modèle expliquait de nombreuses observations dans notre système solaire : l'ordre des planètes, leur composition, leur masse, leur sens de rotation (à une exception près), et le plan des orbites. Cependant, cette cohérence n'était guère surprenante puisque nous avions construit ce modèle à partir du seul système stellaire que nous connaissions : le nôtre. Si le modèle de la nébuleuse primitive de Kant et Laplace se limitait à expliquer la création du système solaire, celui plus moderne de la nébuleuse solaire fut généralisé à l'ensemble des systèmes stellaires au XXe siècle.
Dans ce modèle, la création de planètes dans une zone dite habitable (une planète tellurique, à une distance suffisamment éloignée du Soleil pour que l'eau reste liquide, mais suffisamment proche pour qu'elle ne gèle pas) était considérée comme un phénomène courant. On estimait le nombre de planètes dans notre galaxie entre 200 et 800 milliards (soit au moins une par étoile). Selon ce modèle de création stellaire, plusieurs milliards de planètes se trouveraient donc en zone habitable, où l'eau liquide pourrait exister.
La pluralité des mondes habitables est devenue une réalité scientifique dès la seconde moitié du XXe siècle (bien que leur habitabilité effective reste une autre question). Toutefois, nous avons négligé un détail crucial : l'anthropocentrisme de notre modèle. Nous l'avons d'abord élaboré pour expliquer la formation de notre système solaire — et donc de la Terre — avant de le généraliser à toute la galaxie. Cette généralisation reposait sur une hypothèse majeure : que la Terre, le Soleil, le système solaire et notre galaxie n'avaient rien d'exceptionnel dans l'univers.
À la sortie de Star Wars au cinéma en 1977, aucune planète en dehors de notre système solaire n'avait encore été observée, que ce soit directement ou indirectement. Il faudrait attendre encore dix-huit ans pour obtenir une preuve définitive.
La découverte des exoplanètes
En 1995, deux astronomes suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, annoncèrent la découverte de la première exoplanète autour d'une étoile en séquence principale, 51 Pegasi, située à environ 50 années-lumière dans la constellation de Pégase. En 2019, ils ont reçu le prix Nobel de physique pour leur découverte. Mais contre toute attente, les caractéristiques de cette planète n'étaient pas du tout celles que l'on attendait. Pire encore, elles semblaient impossibles d'après le modèle de création des systèmes stellaires alors admis à l'époque.
51 Pegasi b (le nom de cette exoplanète) est une planète géante gazeuse semblable à Jupiter, mais située à une position inattendue. Collée à son étoile, elle se trouve à seulement 7,8 millions de kilomètres de celle-ci. À titre de comparaison, Mercure, la première planète du système solaire, est située à 58 millions de kilomètres, la Terre à 150 millions de kilomètres et Jupiter à 780 millions de kilomètres — soit cent fois plus loin que 51 Pegasi b.
Alors que Jupiter a une température d'environ −150 °C et tourne autour du Soleil en 12 ans, 51 Pegasi b effectue sa révolution autour de son étoile en seulement 4 jours et atteint une température de plus de 1 200 °C. Catégorisée comme un « Jupiter chaud », sa formation était inexplicable.
Les découvertes ultérieures autour d'autres étoiles ont révélé de nombreux types de planètes absentes de notre système solaire. Parmi les 5 000 exoplanètes découvertes à ce jour, moins de 10 % correspondent au modèle alors admis avant l’observation de la première exoplanète. On trouve désormais une grande variété de planètes : des Jupiter chauds, tièdes et froids (ces derniers similaires au nôtre), des super-Terres, des mini-Neptune, des Neptune chauds, des planètes telluriques, des planètes chtoniennes, des planètes à période ultra-courte, des planètes errantes, etc.
Ces découvertes nous montrent la grande diversité des systèmes stellaires. Bien que les mécanismes de création puissent être généralisés à partir des effondrements de nébuleuses de gaz et de poussière, chaque système connaît une évolution singulière qui dépend d'une myriade de paramètres. L'idée simpliste de systèmes stellaires homogènes qui fonctionneraient tous comme notre système solaire est désormais dépassée. Notre système solaire semble d'ailleurs être plus une exception qu'une règle.
On n'a pas encore découvert à ce jour de planètes de type Terre orbitant autour d'une étoile comme le Soleil, mais ce n'est pas étonnant : les petites planètes telluriques, assez éloignées de leurs étoiles comme la Terre, sont beaucoup plus difficiles à détecter que les super-Terres ou les Jupiters plus massifs. C'est donc un biais important à prendre en compte. On peut facilement imaginer que dans les prochaines années, nous allons découvrir encore de nombreux types de planètes inconnus, et peut-être quelques planètes semblables à la Terre.
La migration des planètes
Afin de concilier le modèle de la nébuleuse solaire (qui explique la création d'une ou plusieurs protoétoiles au centre, de protoplanètes rocheuses près du centre et de protoplanètes gazeuses massives plus éloignées) avec les observations d'exoplanètes massives proches de leur étoile, il a fallu développer un modèle de migration planétaire durant la jeunesse du système.
Cette théorie explique comment ces planètes, en particulier les géantes gazeuses, se forment loin de leurs étoiles puis se déplacent ensuite, le plus souvent vers l'intérieur, mais potentiellement aussi vers l'extérieur au cours de leurs premiers millions d'années d'existence. Dans le cas de 51 Pegasi b, la planète, initialement un proto-Jupiter froid, est devenue un Jupiter chaud en se rapprochant jusqu'à coller à son étoile.
L'influence gravitationnelle des géantes en migration affecte tout le système, qui, en fonction des protoplanètes existantes et du milieu interplanétaire, peut avoir des conséquences diverses expliquant la variété des exoplanètes observées.
Mais alors, pourquoi dans notre système solaire observe-t-on Jupiter et Saturne à leur position actuelle, et non pas au centre du système où elles auraient migré ? Si tel avait été le cas, elles auraient perturbé la formation des planètes intérieures.
Le modèle du “Grand Tack” (2011) et le modèle de Nice (2005) sont venus décrire deux scénarios qui expliquerait l’agencement finalement très particulier de notre système solaire.
Le modèle du Grand Tack explique que très tôt, dans les premiers millions d'années du système solaire, Jupiter puis Saturne auraient commencé leur migration vers l'intérieur du système. La présence de Jupiter dans le système interne aurait empêché la planète Mars d'agréger toute la matière environnante, ce qui expliquerait sa petite taille relative et la présence de la ceinture d'astéroïdes entre Mars et Jupiter. Cependant, avant que Jupiter n'ait eu le temps d'aller plus loin vers le Soleil, la présence de Saturne — elle aussi en migration — et les caractéristiques particulières de leurs orbites les ont fait entrer en résonance, provoquant l'inversion de leur migration et les renvoyant à leur place actuelle.
Le modèle de Nice explique la migration ultérieure d'Uranus et Neptune vers l'extérieur du système solaire, survenue entre 600 et 800 millions d'années après la formation du système. Suite à la résonance de Jupiter et Saturne et leur retour dans le système extérieur, celui-ci se déstabilise : Uranus et Neptune s'éloignent vers l'extérieur, éparpillant au passage des myriades de petits corps dans la Ceinture de Kuiper et le système solaire externe. Cette phase chaotique expliquerait en partie l'intense bombardement météoritique « tardif » dont témoignent les cratères lunaires.
Ce bombardement a pu façonner les conditions initiales et la dynamique évolutive de la biosphère terrestre, qui est apparue à cette époque dans les océans — alors seul refuge face à cet intense bombardement. Il semblerait aussi que ce bombardement puisse être à l’origine d’une partie de l’apport d’eau sur la terre en provenance des confins du système solaire, même si la part exacte est encore sujette à débat.
Finalement, notre système solaire constitue bien une exception, la distribution des planètes et leurs migrations si particulières étant le résultat d'une série de paramètres uniques.
À son origine, Mars possédait des conditions similaires à la Terre. C'est pour cette raison que nous envoyons des missions à sa surface : nous voulons savoir si la vie, non pas existe actuellement sur Mars, mais a existé à ses débuts. Ainsi, nous pourrions observer qu'à deux endroits aux conditions similaires (Terre, Mars), la vie a pu apparaître. Si elle s'est développée à deux reprises, elle devrait pouvoir émerger chaque fois que les conditions sont réunies.
Mais Mars a perdu son champ magnétique il y a 4 milliards d'années, rendant toute vie impossible actuellement à sa surface : sans champ magnétique, le vent solaire a progressivement soufflé l'atmosphère martienne, fait évaporer ou geler l'eau et laissé la surface exposée au flux continu de radiations solaires. Si Mars a perdu son champ magnétique, c'est à cause de sa petite taille, bien inférieure à celle de la Terre, en partie due à la migration de Jupiter. Si le Grand Tack n'avait pas eu lieu, la Terre aurait pu subir le même sort et n'aurait pas pu atteindre la taille qu'elle a aujourd'hui, voire aurait pu ne jamais exister. Elle aurait eu en tout cas eu un tout autre destin.
L’unicité de la Terre
Nous sommes aujourd'hui bien mieux équipés qu'à l'époque grecque ou à la Renaissance pour répondre à cette question. Si nous savons maintenant que la formation de systèmes stellaires comme le nôtre est courante et que des proto-Terres existent, nous attribuons de plus en plus la stabilité de notre planète, maintenue pendant les 4 milliards d'années nécessaires à l'évolution de la vie, à une série de coïncidences remarquables.
Nous avons parlé du Grand Tack, dû aux caractéristiques et aux orbites bien particulières de Jupiter et Saturne, mais il faut aussi considérer le rôle de la Lune. Celle-ci stabilise l'axe de rotation terrestre, permettant ainsi l'existence de saisons homogènes sur de très longues périodes. La Lune, satellite unique par sa masse relative à sa planète dans tout le système solaire, est elle-même née d'une coïncidence : l'impact entre la Terre et Théia il y a 4,5 milliards d'années.
Le passage de la vie microbienne à la vie complexe que nous connaissons aujourd'hui a nécessité le maintien d'un environnement stable et habitable pendant des milliards d'années. Combien d'autres coïncidences ont été nécessaires ? Et quelle est leur probabilité d'occurrence, rapportée au nombre d'étoiles et de planètes dans notre galaxie ?
L'idée de la pluralité des mondes a connu plusieurs phases. D'abord un refus catégorique ancré dans les croyances et la vision du monde du passé, puis une euphorie exploratoire suite à la révolution copernicienne, pour arriver aujourd'hui à une réponse beaucoup plus nuancée.
La pluralité des mondes ? Oui, bien sûr. Des mondes habitables à un instant T ? Oui, sûrement. Des mondes réunissant les conditions d'émergence de la vie ? Peut-être. Des mondes habitables et stables suffisamment longtemps pour permettre l'émergence d'une vie complexe ? La question est ouverte..
Ce dont nous sommes désormais sûrs, c'est que la Terre telle que nous la connaissons pourrait être unique dans notre Galaxie.